Carte blanche : Une réforme ambitieuse du conventionnement doit avant tout préserver l’accès aux soins

La Coalition Santé a publié dans La Libre une carte blanche sur l’avant-projet de réforme du Ministre de la Santé, et les conséquences du déconventionnement.

Le débat réside dans l’équilibre entre la liberté individuelle du médecin et l’adhésion à un système de santé collectif et performant qui permet à tout le monde de vivre en bonne santé.

En Belgique, l’accès aux soins de santé constitue un enjeu croissant pour une part significative de la population. En 2024, 41 % des belges francophones ont renoncé à au moins un soin de santé pour des raisons financières. De nombreux patients se voient contraints, chaque jour, de choisir entre consulter un spécialiste – dentiste, kinésithérapeute, ou autre – et faire face à des dépenses essentielles telles que l’alimentation ou les factures d’énergie. Par ailleurs, les comparaisons internationales montrent que les Belges paient plus de leur poche que leurs voisins européens pour accéder aux soins. Cette situation a des conséquences concrètes sur la population, notamment sur les publics les plus fragilisés, et tend malheureusement à s’aggraver avec le temps.

Les conséquences d’un déconventionnement

Pourtant, notre système de santé reste performant sur de nombreux aspects et nous disposons de mécanismes pour garantir l’accessibilité financière aux soins de santé. Parmi eux, le conventionnement. Un mot qu’on entend souvent mais dont on ignore parfois la portée. Il s’agit d’un accord entre les prestataires de soins, les mutualités et les pouvoirs publics qui fixe le montant d’une prestation médicale et le niveau de son remboursement par l’assurance maladie. Une fois l’accord passé, chaque prestataire est libre d’adhérer ou non à la convention. S’il refuse, il pourra augmenter ses tarifs et donc la part payée par le patient. Lorsque 40 % des prestataires ou plus refusent la convention, elle n’est pas applicable et la fixation des tarifs revient en théorie dans les mains du Ministre de la santé.

Depuis plusieurs années, on observe une tendance au déconventionnement (surtout chez les spécialistes). À titre d’exemple, la proportion de kinésithérapeutes conventionnés en Belgique a chuté de 29 % en 9 ans. Les dentistes, conventionnés à hauteur de 71 % en 2008, ne sont plus que 56 % en 2025. Cette réalité a des implications concrètes. Dans certaines villes, il est devenu pratiquement impossible de trouver certains spécialistes conventionnés avec les conséquences financières que cela implique. Un glissement qui fragilise notre système de soins, ne permettant plus à tout le monde d’y avoir accès.

Suite à l’avant-projet de réforme du ministre Frank Vandenbroucke, nous avons assisté à une offensive de certaines corporations et syndicats de spécialistes criant au scandale. Ils défendent une liberté totale pour les prestataires, leur permettant de refuser la convention sans contrainte, ni dispositif de régulation. En tant que professionnels du soin, nous avons été particulièrement choqués par cette position idéologique tant elle balaie d’un revers de main l’essence même du conventionnement et de notre système de soins : l’accès aux soins à toutes et tous indépendamment de la capacité financière du patient.

Par ailleurs, la proposition du ministre d’introduire les Tarifs Additionnels Maximum Autorisés (TAMA) s’inscrit également dans cette logique marchande qui ne garantit pas l’accessibilité au soin. Elle permet aux médecins conventionnés de facturer des suppléments d’honoraire pour certains actes médicaux, représentant une forme de dérégulation particulièrement dangereuse. Elle augmentera sensiblement le prix pour les patients, introduira une logique de marchandisation dans le système et va compromettre sa lisibilité.

Mission essentielle

Attention, il ne s’agit nullement de remettre en cause les conditions d’exercice des prestataires de soins, ni d’ignorer la charge croissante qui pèse sur leur métier. Mais il n’est pour autant pas admissible que les inégalités d’accès aux soins soient considérées comme acceptables et que le focus soit mis sur la liberté et la rémunération des spécialistes plus que sur l’accès aux soins de santé de tous.

Le débat réside dans l’équilibre entre la liberté individuelle du médecin et l’adhésion à un système de santé collectif et performant qui permet à tout le monde de vivre en bonne santé. Faire primer la liberté individuelle du prestataire, comme le proposent certaines corporations de spécialistes, conduit inévitablement à une logique de marchandisation des soins, dans laquelle le patient cesse de l’être pour devenir un client. La santé n’est pas un bien ordinaire, et le rôle du médecin ne saurait être réduit à celui d’un prestataire de services indépendant. Exerçant une mission essentielle au sein du système de soins, le médecin participe à un projet de société fondé sur l’égalité et la responsabilité collective en matière de santé publique. C’est précisément cette spécificité qui légitime pleinement l’existence d’un cadre réglementaire. Ce dernier doit avoir deux objectifs : d’une part rémunérer correctement les prestataires de soins (en 2021, le revenu des médecins spécialistes libéraux était en moyenne pratiquement 6 fois supérieur au salaire moyen), d’autre part assurer l’accès aux soins de santé pour toutes et tous, ce qui n’est malheureusement pas le cas actuellement.

La Coalition Santé, composée d’organisations syndicales, de mutualités et d’associations actives en matière de santé, dénonce dans ce contexte de tension un basculement idéologique ainsi qu’une marchandisation des soins de santé soutenue par les syndicats médicaux et les partis de la majorité. Il est urgent de protéger le droit à la santé et cela passe nécessairement par une réforme du conventionnement ambitieuse mais également lisible et juste socialement.

Plafonnement des honoraires

La Coalition s’oppose à un système de soins vidé de son sens et déconnecté de la philosophie du conventionnement instauré en 1964. Elle plaide concrètement pour un plafonnement des honoraires médicaux lorsque les taux de conventionnement restent inférieurs à un seuil raisonnable (60 %). La Coalition demande également à ce que la réforme du conventionnement repose sur une analyse rigoureuse de la situation et qu’elle intègre des mesures ambitieuses pour la sécurité tarifaire des patients, dans toutes les régions et pour l’ensemble des types de soins.

La santé n’est pas un luxe réservé à une partie de la population mais un droit fondamental et le conventionnement, justement régulé, est un outil en mesure de rendre ce droit fondamental effectif.

Signataires :

 ABVV, CNE, Solidaris, ACV, Puls, BBTK – SETCa, SETCa – BBTK, Réseau wallon de lutte contre la pauvreté – RWLP, CGSP ACOD Alr Lrb Bruxelles, Médecins du Monde Belgique, Fédération des maisons médicales, Médecine Pour le Peuple (MPLP), Soralia, Culture et Santé, Memisa, Attac Liège, Attac Belgique, Ligue des Usagers des Services de Santé (LUSS), Fédération Bruxelloise de Promotion de la Santé (FBPS), Collectif 5C, Collectif CREALIM, Centre bruxellois de promotion de la santé (CBPS), Fédération Laïque des Centres de Planning Familial, Centre tricontinental (CETRI), Les Pissenlits asbl, Cerapss, Plateforme Prévention Sida, La Compagnie Adoc, Arsenic2, Attac Bruxelles, POUR asbl et Le syndicat des immenses.

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