La Coalition Santé soutient la publication de cette carte blanche, éditée dans Le Soir et initiée par les fondateurs de l’association Farma2Justice avec laquelle nous collaborons : Els Torreele, Tim Joye et Jean Hermesse.
« Nous payons depuis trop longtemps des prix trop élevés pour des médicaments chers. » C’est le titre d’un rapport de l’Autorité néerlandaise des soins de santé (NZa) paru en avril qui a suscité de vives réactions chez nos voisins du nord. Et à juste titre. Car partout en Europe, les dépenses en médicaments augmentent à grande vitesse. Fin de l’année dernière, la Plateforme européenne de la protection sociale ESIP tirait la sonnette d’alarme : « Les prix des médicaments montent en flèche. » Selon ce réseau des institutions de sécurité sociale, la hausse du budget total consacré aux médicaments est insoutenable si la tendance se poursuit au même rythme. En Belgique, le Bureau fédéral du Plan prévoit une augmentation de 36,6 % du budget des médicaments entre 2022 et 2027, contre 16,7 % entre 2016 et 2021.
Des organisations de la société civile dans notre pays ont tiré la sonnette d’alarme à plusieurs reprises dans les années précédentes. Alors pourquoi cette question est-elle si peu entendue dans le débat public ? En tant que société, nous avons le droit – et le devoir – de nous prononcer sur ce que nous considérons comme un prix équitable pour un médicament. Car c’est notre sécurité sociale, que nous finançons collectivement, qui paie. Les règles habituelles de l’offre et de la demande ne s’appliquent pas pour déterminer le prix du médicament : la santé n’a pas de prix.
Certains se souviennent sans doute de l’histoire du bébé Pia et du médicament Zolgensma. 1,9 million d’euros pour une seule injection. Après Zolgensma, il y eut Libmeldy, puis Hemgenix. Le médicament le plus cher au monde coûte désormais 3,5 millions de dollars par injection. Où est la limite ? Si les entreprises pharmaceutiques ne fixent pas elles-mêmes de frontières, ne revient-il pas à la société de les leur imposer ?
Des profits considérables
Selon une étude d’un économiste néerlandais, l’entreprise américaine Vertex réalise 97 % de marge brute sur Kaftrio, son médicament contre la mucoviscidose. La multinationale MSD, quant à elle, réalise selon une ONG suisse 84 % de marge brute sur Keytruda, son traitement contre le cancer. Tous ces médicaments ont une valeur thérapeutique indéniable, mais posons-nous la question si ces marges sont raisonnables ? Une publication du British Medical Journal de 2022 indique d’ailleurs que la marge bénéficiaire nette moyenne dans le secteur pharmaceutique est trois fois supérieure à celle de l’économie dans son ensemble.
Pour notre sécurité sociale, cette évolution des prix est intenable. Il existe une limite à ce que nous pouvons payer sans mettre en danger les autres soins. Pourtant, les prix continuent de grimper, car le rapport de force à la table des négociations entre les multinationales pharmaceutiques et nos gouvernements est déséquilibré. Chaque pays européen est contraint de négocier individuellement, dans le secret, des rabais sur les prix. Le système n’est plus transparent du tout.
Faire bouger les lignes
Il est temps, en tant que citoyens et acteurs du monde de la santé, d’envoyer un signal fort. Pour cela, l’exemple néerlandais peut nous inspirer. Le 9 mai a eu lieu un procès exceptionnel à Amsterdam. La fondation Farma ter Verantwoording (FtV) a assigné la multinationale AbbVie en justice pour pratiques tarifaires abusives. FtV a calculé, sur la base d’auditions au Congrès américain, que l’entreprise avait surfacturé 1,2 milliard d’euros rien qu’aux Pays-Bas pour son médicament vedette Humira, destiné à certaines maladies auto-immunes.
De telles initiatives nourrissent de plus en plus le débat. Après la citation à comparaître d’AbbVie, une audition a été organisée en mai 2024 à la Seconde Chambre néerlandaise sur la politique de prix des médicaments. En outre, trois institutions publiques travaillent actuellement à l’élaboration d’un cadre pour déterminer un prix socialement acceptable. Au niveau européen, l’Association Internationale des Mutualités (AIM) a mis au point un fair price calculator, destiné à aider les gouvernements à fixer des prix raisonnables pour les nouveaux médicaments. Un projet de loi a d’ailleurs déjà été déposé à ce sujet dans le Parlement fédéral par plusieurs partis.
Ne serait-il pas temps, pour nous aussi en Belgique, de bouger davantage ? Le budget de notre santé est déjà sous forte pression, alors que les besoins augmentent. Le personnel soignant souffre d’une pénurie aiguë. Nous avons besoin des moyens de la sécurité sociale pour investir dans ce domaine. Il est donc essentiel d’oser questionner les prix excessifs des médicaments et les surprofits croissants des géants pharmaceutiques.
Signataires
Organisations :
Solidaris | Jean-Pascalle Labille ; Mutualités Chrétiennes (MC) | Elise Derroitte ; Test-Achat ; Ligue des Usagers des Services de Santé (LUSS) ; Le Collège de Médecine Générale (CMG) ; Coalition Santé ; Fédération des Maisons Médicales ; Médecine pour le Peuple ; Groupe de Recherche et d’Action pour la Santé (GRAS) ; Collectif 5C – Collectif des coopératives citoyennes pour le circuit court asbl ; Adoc – compagnie de théâtre documentaire Belge ; Arsenic2 – Centre de création artistique et d’action culturelle interdisciplinaire ; Viva Salud ; Soralia – mouvement féministe et solidaire
Personnalités – à titre personnel :
Dr. Anne Gillet – ex-présidente du Collège de Médecine Générale (CMG) ; Dr. Aurore Girard – membre de la Société Scientifique de Médecine Générale (SSMG) ; Dr. Benjamin Fauquert – membre du département de médecine générale ULB ; Dr. Benoît Hellebuyck – membre de l’Association belge des syndicats médicaux (ABSyM) ; Prof. Bruno Colmant – membre de l’Académie Royale de Belgique ; Dr. Cyntia Garcia – membre de l’Association des médecins généralistes en formation (AMGF) ; Dr. Didier Giet – président du Collège de Médecine Générale de Belgique francophone ; Elise Derroitte – vice-présidente de la MC ; Ellen De Meyer – maman de Baby Pia – autrice du livre ‘Zorgen voor jou’ (Lannoo) ; Prof. Emmanuel André – biologiste clinicien (UZ Leuven) et professeur à la KULeuven ; Prof. Eric Schokkaert – professeur émérite à la KULeuven ; Prof. Etienne de Callatay – chargé de cours, UNamur, cofondateur d’Orcadia AM ; Prof. Gorik Ooms – juriste et professeur Institut de Médecine Tropicale, Antwerpen ; Dr. Guy Delrée – fédération des associations de généralistes wallons (FAGW) ; Prof. Jean Macq – professeur Faculté de Santé Publique UCL ; Dr. Jean-Noël Godin – ex-directeur du GBO ; Dr. Lawrence Cuvelier – président du Groupement Belge des Omnipraticiens ; Dr. Luc Herry – membre de l’Association belge des syndicats médicaux (ABSyM) ; Luc Van Gorp – président de la MC ; Dr. Marie-Laurence Lambert – expert en Health Technology Assessments ; Dr. Martine Van Hecke – expert santé Test-Achat ; Dr. Michel De Jonghe – membre du centre académique de médecine générale UCL ; Prof. Michel Lesne – professeur émérite UCL et Chaire Franqui ULB ; Dr. Michel Roland – ex président de Médecins du Monde, professeur ULB ; Dr. Naji Mokaddem – membre de la Société Scientifique de Médecine Générale (SSMG) ; Dr. Pascale d’Otreppe – membre du Groupement Belge des Omnipraticiens (GBO) ; Dr. Paul De Munck – ex-président du Groupement Belge des Omnipraticiens (GBO) ; Philippe Defeyt – économiste près de l’Institut pour un Développement Durable ; Dr. Philippe Devos – directeur général UNESSA ; Prof. Philippe Van Parys – professeur extraordinaire en philosophie à la KULeuven ; Dr. Pierre Drielsma – médecin généraliste et membre de la Fédération des maisons médicales ; Dr. Pierre-Louis Deudon – membre de la fédération des associations de médecins généralistes ; Dr. Raf Mertens – ex-directeur du KCE ; Dr. Sarah Cumps – membre de la Société Scientifique de Médecine Générale (SSMG) ; Dr. Sébastien Swinnen – membre de la fédération des associations de médecins généralistes wallons (FAGW) ; Prof. Sigrid Sterckx – professeur en Ethique et Philosophie Politique Ugent ; Dr. Stefaan Van Bastelaere – président Be-cause health ; Dr. Wouter Arrazola de Onate – expert en santé publique, déterminants sociaux et commerciaux de la santé ; Dr. Xavier De Bethune – ex-directeur de Médecins du Monde.